A la poursuite de la même question : comment vivre ensemble ? Et à la suite de Tartuffe, Don Juan et des Caprices de Marianne, nous nous proposons d’explorer, aujourd’hui, le Dandin de Molière.
Molière, parce que ce diable d’auteur et d’homme de théâtre n’a pas son pareil pour démonter les grandeurs et les petites misères humaines sous couvert de farces populaires qui s’adressent à tous. Les degrés d’intérêt et de lecture y sont toujours pluriels ce qui multiplie le plaisir et les publics.
Dandin, parce qu’au delà de la farce féroce qui fait d’un mari confondu un cocu vraisemblable, on peut y lire l’histoire pathétique d’un homme qui pense acheter son destin, et sortir de sa classe sociale simplement en y mettant le prix, comme sur un marché. Un bourreau qui devient la victime de celle qui se transforme à son tour en exécuteur.
On peut aussi y voir toutes les difficultés que rencontrent ceux qui veulent s’intégrer à un autre groupe social que le leur. Tout ce qu’ils doivent endurer comme affronts, comme humiliations, comme colères rentrées et comme injustices de la part de tous les « Sottenville » du monde.
Enfin on doit aussi y entendre le discours des femmes contre les ordres établis par les hommes, qu’ils soient pères, amants ou maris. Et même s’ils sont écrits un peu à contre cœur.
Pour essayer de rendre tout cela lisible et contemporain, nous avons décidé de transposer l’histoire, de changer le temps, de quitter la servilité d’un respect passif sans pour cela tordre inutilement un propos pour lui faire dire plus et autre chose que ce qu’il dit :
… Imaginons donc, vers la fin des années cinquante, entre Love me tender et Only you, au moment où les jeunes élites hésitent entre Sartre et Mauriac, une petite ville de province française un peu humide et terreuse, mais belle, et un entrepreneur de travaux publics, enrichi, mais douloureux…
MOLIERE/DE LA FARCE A LA COMEDIE DE CARACTERE
On observe dans l’œuvre de Molière une évolution qui ressemble assez à celle qu’a connue le théâtre français. En effet, il y a chez Molière un passage très caractéristique de la farce à la comédie de caractère, en faisant un détour par la comédie de mœurs.
Molière s’inspire tout d’abord de la commedia dell’arte, de la farce traditionnelle, avec tout ce qu’elle comporte d’effets, de plaisanteries, de bouffonneries. Car la farce est avant tout basée sur le comique de gestes, sur la répétition et la déformation de nos petites manies ou de nos tics, comme dans Le médecin volant. On retrouve ainsi tout au long de l’œuvre de Molière des personnages typiques empruntés à la comédie italienne : le vieux barbon, la jeune fille naïve, le cocu, la femme rouée, le valet rusé, etc.
La comédie de mœurs, elle, fonctionne surtout sur le comique de situation, fondée sur la vie réelle et sur les drames qu’elle abrite en son sein. Il s’agit de peindre l’homme dans sa vérité, avec ses défauts, mais aussi ses qualités, avec ce qu’il a d’humain. Car la comédie de mœurs est proche de l’homme, comme la farce était proche du pantin. C’est cette nuance essentielle que l’on trouve dans les comédies de Molière à partir du Médecin malgré lui.
Quant à la comédie de caractère, c’est une comédie de mœurs teintée d’amertume : Molière ne se contente plus de peindre l’homme, il cherche à montrer son impuissance, et selon lui, c’est la jalousie qui se pose comme sa plus importante faille, comme sa plus grave impuissance : ce thème revient évidemment dans George Dandin ou le mari confondu, mais aussi dans L’Ecole des femmes. En effet, on sent chez George Dandin un avant-goût de comédie sérieuse et de drame bourgeois. De plus, les années 1670 voient la lutte sociale accélérée par le mélange des classes et l’appauvrissement de la noblesse face à l’ambition et à l’enrichissement de la bourgeoisie : ce problème sera central dans George Dandin.
On peut alors se demander si cette distorsion que Molière fait subir à la comédie ne la fait pas rentrer malgré elle dans le registre « sérieux » du théâtre. Molière a sans doute constaté que toute situation, même comique en apparence, est une tragédie en puissance et le critique P.-A. Touchard confirme cette hypothèse en écrivant dans la revue littéraire Europe : « Tout se passe comme si, désespéré de ne pouvoir faire de tragédies, Molière s’était donné comme but de créer des comédies aussi belles et graves que les tragédies. » Belles et graves, mais surtout cruelles, puisque le rire, absent de la tragédie, se fait moqueur et parfois amer dans la comédie.