La Locandiera est sans doute la pièce de Goldoni la plus connue du public français. Trop connue serait-on tenté de dire, car, de cette intrigue écrite en 1752, on ne retient souvent que l’évidence de la ruse des femmes dans leur rapport avec les hommes. Et pourtant, La Locandiera a atteint une renommée internationale, traduite en 90 langues, la pièce a connu plusieurs titres successifs : Le chevalier de Ripafratta ou le marquis de Forlipopoli, les amants de l’auberge, les trois rivaux dans l’auberge, Camille aubergiste, et même Quatre chiens autour d’un os !
Cette histoire d’une femme, Mirandoline, qui dirige une auberge, et qui après avoir ridiculisé un noble qui se prétendait à l’abri de l’amour des femmes, se marie, devant lui, avec son intendant a suscité de nombreuses interprétations. Selon l’évolution des modes intellectuelles on a présenté au spectateur du XXème siècle soit la coquette cruelle et inconsciente, soit la féministe à l’avant-garde, ou encore la femme sage et avisée qui se sert de son charme pour garder son indépendance …
Si nous avons choisi cette pièce du répertoire Italien du XVIII è siècle, c’est pour plusieurs raisons, simples et complexes. Tout d’abord, l’équipe d’acteurs de Théâtre et Compagnie, nous paraît parfaite pour cette distribution, et cela poursuivra le travail que nous avons engagé sur les personnages féminins en cohérence avec les Caprices de Marianne, ou l’Angélique de George Dandin. Il est très important pour pérenniser l’activité d’une compagnie de pouvoir offrir à tous ses membres une durée d’exploitation des spectacles suffisante, et l’aide de la région dans la diffusion des création est pour nous un soutien déterminant car une production lourde (12 personnes en tournée) est difficile à exploiter.
De plus cette pièce nous permettra d’approfondir notre rapport avec le théâtre comique intelligent, ce nouveau théâtre populaire que nous voulons explorer et promouvoir. Celui qui divertit la société par elle-même et non pas d’elle-même.
Mais cela sera aussi pour nous l’occasion de vérifier les hypothèses de construction des mécanismes de protection du groupe social, le comment vivre ensemble. Notamment le dépassement (ou l’affirmation) des instincts primitifs par la mise en place de rituels, liés très largement au désir mimétique, aux violences qu’il engendre et la création de boucs émissaires nécessaires au resserrement des liens sociaux.
De ce point de vue, il est clair que le XXIè siècle n’a pas beaucoup avancé depuis le paléolithique, depuis ce temps pas si lointain où l’homme était (déjà) un loup pour l’homme…
Nous essayerons de retrouver, derrière la façade policée des discours apparemment badins des différents protagonistes, sans gratter trop loin le vernis, les expressions de la lutte féroce que se livrent ces humains ( ?) pour s’approprier l’objet qui leur fait envie, l’os pour les quatre chiens, la guerre animale et instinctuelle pour la conquête de la femelle du clan, cirque humain ou tribu d’animaux ?
Cela est d’autant plus intéressant avec une pièce de Goldoni, que cet auteur a voulu débarrasser le théâtre italien de l’époque, cette commedia dell’arte devenue insupportable de cabotinage et de vulgarité, de ses masques, en imposant sa réforme, qui obligeait les acteurs au respect d’un texte pré écrit. Chassez le naturel….
Nous inviterons donc les acteurs-animaux à suivre cette piste contradictoire ( ?) de l’émancipation pour vérifier si l’appartenance à une société nouvelle renie ou non la tribu ancestrale.
Michel Belletante
Nino d’Introna