Interview de Michel Belletante (janvier 2007)
réalisée par Sabrina Carment et Emmanuelle Oltra
Pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène une pièce de Jean-Luc Lagarce ?
Tout d’abord, Lagarce est un auteur qui m’était inconnu mais les comédiens de ma troupe ne cessaient de m’en parler et ils souhaitaient jouer un de ses textes .Devant un si vif intérêt, ma curiosité s’est éveillée. François Berreur était déjà venu présenter sa trilogie à l’Amphithéâtre et j’avais trouvé cet auteur intéressant. Alors, j’ai commencé à lire plusieurs pièces de Lagarce pour me familiariser à son univers et il est vrai que j’ai beaucoup apprécié.
Pour finir, il se trouve que cette année est organisée L’année Lagarce et c’est donc le coup de pouce qui m’a aidé à franchir le pas.
Et donc pourquoi avoir mis en scène Nous, les héros et pas une autre pièce de Jean-Luc Lagarce ?
Principalement pour deux raisons, la première est que c’est celle qui m’a le plus plu. J’avais regardé au départ Les prétendants mais Nous, les héros est la pièce qui m’a le plus séduit tant au niveau de l’écriture que des thèmes abordés. La deuxième raison est qu’elle me permet d’avoir de nombreux rôles féminins et donc de pouvoir faire jouer tous les comédiens de ma troupe.
Jean-Luc Lagarce a écrit deux versions une sans le père et une avec, pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène la version sans le père ?
Il se trouve que j’ai lu la version sans le père en premier et que comme je vous le disais précédemment, j’ai vraiment accroché et plus tard quand j’ai eu l’occasion de lire la version avec le père, j’ai trouvé que ce personnage ne rajoutait aucun intérêt à la pièce, bien au contraire il mange le texte de certains personnages. Il ne s’agit pas de multiplier les personnages, il s’agit de leur trouver un intérêt, par exemple le grand-père et M.Tchissik ont hérité de toutes les remarques hypocondriaques et forment un duo « de vieux » intéressant et la mère, quant à elle, devient une figure de la Femme qui avance coûte que coûte, elle en sort «surgonflée », un peu comme « la mère courage » de Brecht.
Est-ce que vous mettez en scène le texte original et intégral ou y-aura-t-il des modifications ?
Il n’y aura pas de modifications majeures dans le sens de l’histoire, mais sûrement quelques coupures et regroupements si au fur et à mesure de l’avancée des répétitions, je me rends compte que certaines phrases ne correspondent pas à la rythmique que je souhaite donner à mon spectacle.
Avez-vous lu le journal de Kafka ayant influencé Jean-Luc Lagarce pour Nous les héros ?
Oui je l’ai lu et il n’a pas influencé que le texte de Nous les héros, il s’agit même pour ce texte de centonnisme. En effet, beaucoup de répliques sont tirées du journal de Kafka mais aussi de nombreux autres livres de cet auteur. En ce qui concerne les personnages, ils sortent tous aussi de l’univers de Kafka comme par exemple Raban qui est dans Préparatifs de noce à la campagne adapté par Lagarce en 1984 et Max qui tient son prénom du meilleur ami de Kafka…Pour finir, les seules répliques non tirées de Kafka sont celles du passage des cotisations obligatoires et vers la fin, le moment où Mme Tschissik explique à Raban à quel point son mari l’aimait…
Selon vous, quels sont les principaux thèmes qui ressortent de cette pièce et quels sont ceux que vous allez évoquer ?
Pour moi, les thèmes importants à évoquer grâce à la mise en scène sont la guerre qui se prépare, la mort, l’univers yiddish à contrario les thèmes de la maladie, du bouc émissaire et des théâtreux me semblent inintéressants à développer.
Pour moi, toute la pièce tourne autour de la guerre avec comme modèle le film de Théo AngeloPoulos Le voyage des comédiens dont je suis sûr que Lagarce s’est inspiré puisque sa maison d’édition « Les solitaires intempestifs » a comme logo le symbole du film (comédiens avec valises sortant des nuages).Chez Lagarce, la même équipe traverse le monde et le temps sans changer alors que dans le film, le monde bouge autour d’eux, l’extérieur influence la troupe et la modifie.
Le deuxième thème que je souhaite évoquer est l’univers yeddish sur lequel Lagarce a fait une grosse impasse car il n’y fait référence qu’à deux reprises : quand il parle du triomphe yiddish avec deux textes ayant existé du théâtre ambulant de Topalovitch et avec la berceuse yiddish (Des raisins et des amandes).Max sera un intellectuel juif de l’international socialiste et Karl et Raban feront partie de sa bande.
Le troisième thème est la mort et on voit son omniprésence autant dans les didascalies que dans les répliques et je dirais même plus, elle est omniprésente dans toute l’œuvre de Lagarce qui, je vous le rappelle, a été touché très jeune par le VIH. Les personnages font des projets mais la mort est toujours au bout comme une menace.
Où en sont vos idées de mise en scène ?
Au sujet du décor, nous allons jouer sur un plateau nu pour donner l’illusion d’un entrepôt, cela en rapport avec les toutes premières didascalies de la pièce. Pour montrer le contexte de guerre et de mort, deux thèmes qui me tiennent à cœur, je pense poser ça et là quelques caisses de munitions qui auraient été oubliées comme si les personnages étaient assis sur une poudrière prête à faire exploser le groupe et peut-être comme seul rapport au théâtre et à la sortie de scène de la troupe des comédiens, deux portes avec dessus écrit jardin et cour en cyrillique.
Pour les costumes comme dans le film d’Angelopoulos, ils seront tous certainement habillés en noir et blanc à la façon des années d’entre-deux-guerres et ils auront des valises. Le seul costume original sera celui de Karl qui portera un masque de singe en référence encore une fois à Kafka où il dit dans Conférence pour une académie « Ah ! si vous m’aviez connu quand j’étais singe » afin de montrer le destin tragique de l’Homme refusant de passer à l’étape suivante et qui reste dans l’aube de l’humanité.
Au niveau de la musique, je pense faire des intermèdes musicaux mêlant l’univers d’Europe de l’Est et la nostalgie s’y référant afin de rappeler que la guerre approche.