L'action se passe à Florence. Lorenzo de medicis se voue à la restauration de la République. Tâche difficile : son lointain cousin, le duc Alexandre de Médicis règne sur Florence avec l'appui du Saint-Empire de Charles Quint et du pape Clément VII ; une garnison allemande assure sa protection ! Le cardinal Cibo, qui défend à la fois les intérêts de Charles Quint et ceux du pontife romain, est son plus ferme soutien. Lorenzo devient un familier du duc, son bras droit ainsi que son compagnon de débauche, dans l'espoir d'approcher et d'assassiner Alexandre pour libérer Florence de ce tyran et mettre les grandes familles républicaines face à leur responsabilité. Mais après le meurtre, celles-ci ne réussiront pas à prendre le pouvoir et c'est un clone d'Alexandre, Côme de Médicis, qui sera installé sur le trône. Son premier geste politique sera de faire assassiner Lorenzo à Venise. Au pur Lorenzo, étudiant épris d’arts et de poésie, succède donc celui que les Florentins appelleront Lorenzaccio, en ajoutant à son nom un suffixe marquant le mépris. Incarnant toute la débauche de sa ville, Lorenzo jouera donc un double jeu pendant toute la pièce, celui de « Lorenzino », héros romantique par excellence, empli d'idéaux et inspiré par l'exemple de Brutus et celui de « Lorenzaccio », personnage corrompu et pervers, qui lui collera bientôt à la peau. Cette descente aux enfers lui laissera des traces indélébiles qui le conduiront vers un "exil-suicide" emprunt d'une lucidité amère et schizophrène.
LORENZACCIO est il un polar romantique ? Cette ballade de Lorenzo sera peut-être un blues, mais peut-être aussi un solo de guitare rock électrique déchirant… Comment traduire l'itinéraire de ce "jeune homme du siècle", qui se demande ce qu'il peut faire pour transformer réellement le monde noir, injuste et violent dans lequel il ne peut plus vivre ? Une version en noir et blanc, à la "dog ville", un dépouillement scénographique extrême, une musique de scène qui sculpte les corps et le décor, nous permettront d'interroger très crûment l'énigme de ce "soldat perdu" et de restituer les enjeux principaux de cette partie de poker menteur où chacun recherche son intérêt profond sous tous les masques possibles. Ce héros divisé, vain, malade dans sa volonté, brûlé aux illusions du plaisir facile nous paraît toujours contemporain. Sa complexité va jusqu’au rapport trouble et troublant qui unit la victime et son meurtrier. Lorenzo est un contre-héros, un personnage déchu, impur qui aspire à la pureté, mais déjà empoisonné par le mal qu’il dénonce tout en s’y vautrant. Peut-être se bourrerait il aujourd'hui de cachets… Au final, Lorenzo n’est qu’une illusion d’homme. Un masque, une marionnette dans les mains des autres… Cette dérision, ce néant sont hallucinants. Musset, névrosé, annonce Baudelaire jusque dans son impuissance. La musique, le blues de Lorenzo auront une part décisive dans notre vision de ce drame romantique. Elle sculpte la scénographie mais aussi donne leur impulsion aux personnages comme dans la force du destin de Verdi.
LORENZACCIO est il un héros romantique ? Une des œuvres les moins jouées du répertoire. Sans doute à cause de sa démesure : Démesure du texte, démesure du nombre de personnages, démesure des tirades. Une pièce très rarement jouée en entier… Une pièce démesurément romantique : L'archétype du héros romantique confronté à ses différents "moi" sur un seul et unique plateau… Une pièce qui se déroule avant hier pour parler d'hier peut-elle parler d'aujourd'hui ? Elle se situe théoriquement en 1537 et prétend refléter les désarrois de la jeunesse de 1830. .. N'est-elle qu'un contrepoint littéraire des émeutes politiques de juin 1832 ou une œuvre plus universelle qui pose de grandes questions de société : A-t-on le droit d'assassiner celui qui détient et exerce le pouvoir injustement ? L'exaltation romantique suffit-elle à justifier le crime fut-il celui d'un criminel ? Romantisme, jeunesse et politique font-il bon ménage avec la réalité ? Cette pièce pose, entre autres, la question de savoir si un mal peut justifier un bien dans l’action politique. Le désir de liberté peut-il justifier un crime et l’avilissement moral ? Et si Lorenzo n’était qu’un de ces "soldats" infiltrés chez l'ennemi attendant patiemment son heure et les ordres d'une "résistance" révolutionnaire et républicaine pour frapper au nom du retour de la loi et de la justice… Sauf que ces années de service humiliantes et dépravées ont laissé des traces indélébiles chez le "soldat"…que ses commanditaires ne seront pas au rendez-vous citoyen, trop préoccupés de leur propre sort pour défendre celui de ceux qui souffrent… Sauf que le retour à l'ordre sera celui du même ordre, en pire peut-être même, et que le peuple n'y verra aucun changement... Mais tout cela est-il vraiment si éloigné de nous ? Car cette pièce aborde aussi la crise des idéologies : peut-on simplement (naïvement ?) croire à des idéaux ? Quelle part de manipulation contiennent-ils ? Sont-ils finalement des mensonges ? Le XXe siècle a connu bien des tyrannies issues d’idéologies prétendant au bonheur terrestre. On pourrait ajouter que le terrorisme pseudo-religieux du XXIe siècle donne encore plus d’actualité aux réflexions de Musset sur la crise et la falsification des idéaux par les idéologies. Musset montre que même Philippe Strozzi le chef des républicains est aussi un simulacre, une caricature rhétorique, celle du philosophe pessimiste, du penseur politique inefficace. Il est en effet curieux d’entendre dans sa bouche que la vertu ne serait qu’un déguisement destiné à cacher une nature humaine foncièrement mauvaise : La corruption est-elle donc une loi de nature ? Ce qu’on appelle la vertu, est-ce donc l’habit du dimanche qu’on met seulement pour aller à la messe ? Compte tenu de l’emprise de la vie politique dans nos démocraties, des scandales qui les agitent, des risques encourus par la liberté, on comprendra que cette grille de lecture puisse aussi devenir signifiante pour nous. Le vivre ensemble, oui, mais avec qui, et à quel prix ? Kadhafi, Alexandre de Médicis ? Ben Ali, Alexandre de Médicis ? "Il Cavaliere" ? Papandreou ? Et qui les remplaceront … Quel Come de Médicis placé par quel pape et quel empereur ?
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Crédits : Photos : Isabelle Fournier , Guy Delahaye , Emmanuel Orain. Charte graphique/logo, affiches des spectacles : Isabelle Fournier. Conception web : Marvox Multimédia pour Théâtre et compagnie.
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